Peinture : histoire & chronologie
Tout au long de sa vie, le peintre Louttre.B n'a eu de cesse de se renouveler. Sa peinture, d'abord non-figurative, se développe à partir de 1962 dans le sens d'une « représentation allusive » tout à la fois poétique et humoristique.. Huile, sable, acrylique, il teste les matières, les abandonne pour y revenir quelques années plus tard, déconstruit et reconstruit régulièrement son langage pictural pour donner un souffle nouveau à sa création.
Les périodes de son oeuvre sont donc courtes et nombreuses : nous les avons classé ici de façon chronologique.
« J'ai fait bien des choses : des sculptures géantes, des gravures de toutes dimensions, des vitraux, des tapisseries, et des choses plus humbles, mais tout ce que j'ai fait n'a eu que la peinture pour point de départ et me ramène toujours à la peinture. » Louttre.B
Les années 50 : compositions abstraites
Adolescent, Marc-Antoine dit Louttre s'initie à la peinture au côté de son père Roger Bissière (1866-1964). Cet artiste enseigne à l'Académie Ranson; il est l'ainé d'une génération qui verra apparaître dans les années 1950 la peinture non figurative. Quittant Paris en 1938 alors que la guerre menace, Bissière s'installe dans le Lot, où Louttre demeure avec lui jusqu'en 1949. C’est là qu’entre dix et vingt ans, il se découvre un attachement pour ces paysages qui l'accompagneront toute sa vie.
Dès 1942, pendant ce temps de guerre, alors qu'il n'a que 16 ans, il doit travailler aux champs, débarder le bois pour faire du charbon... tout en commençant à peindre.
En février 1944, il expose, sous le nom d'"Antoine Bissière", à la Galerie de France avec Roger Bissière et ses amis : Bertholle, Jean Le Moal, Manessier, Gustave Singier et Étienne-Martin.
À partir de 1945, Louttre travaille avec Bissière : "J'avais vingt ans, nous peignions chaque jour dans le même atelier, dos à dos; et pendant deux ans, nous avons joué au ping-pong, lui avec son savoir, moi, avec l'inconscience de la jeunesse : il trouvait quelque chose, je le reprenais; il le reprenait à son tour. Ce furent deux années de partage, je lui offrais ma candeur, il m'offrait son savoir."
Composition V, 1956, huile sur toile de jute, 94 x 126 cm
À peine lauréat de la deuxième Biennale de Paris en 1961 avec une toile faite de touches vibrantes éloignée de tout sujet, Louttre évolue vers des œuvres plus "brutales" composées de vastes plans colorés qui se bousculent.
Elles figurent dans sa première exposition personnelle en mars 1962 à la galerie Jeanne Bucher. Il se détournera de l'art abstrait après la visite du salon de mai, de cette année là.
1962-1964 : évolution figurative
À partir de 1962, Louttre se détourne progressivement de la non figuration; sa peinture évolue vers une forme d'abstraction figurative. Il revient vivre à Boissierette jusqu'en 1967, signant désormais ses toiles Louttre.B.
Cavalier, 1962, huile sur toile, 73 x 73 cm
1965-1969 : 1ère période sable
"Chaque matériau nous force à trouver d'autres gestes et à découvrir un nouveau plaisir de faire." Louttre.B
A la mort de son père en 1964, Louttre.B ne trouve plus la force de peindre, il se consacre alors à la sculpture.
Il racontera plus tard, dans une vidéo publiée par l'INA :"Je ne suis devenu adulte qu'à la mort de mon père. Le lendemain de sa mort, j'ai eu conscience que j'étais moi-même, et que la vie était différente ce jour là."
En 1965, Il réalise une première série de peinture au "sable" après un voyage au Portugal, technique à laquelle il reviendra plusieurs fois dans sa vie. L'évolution vers le figuratif se précise, et on commence à noter son goût pour le choix de sujets et de titres facétieux (Petits boudins rêveurs, Réception d'un inconnu par un chef d'état...)
1968-1973 : période "nanas"
Pour Louttre.B, cette période se définie par l'utilisation d'aplats de couleurs et de formes anguleuses, géométriques, représentant des femmes - les fameuses "nanas", terme gentiment argotique caractéristique de cette époque.
Ce courant traverse toutes ses réalisations que ce soit en gravures, sculptures ou même à travers d'objets comme l'horloge réalisée avec la Manufacture de Sèvres (1972) ou les gaufriers du Salon des Réalités Nouvelles (1973).
En attendant le soleil, 1969, huile sur toile, 195 x 130 cm
Château à louer, 1971, huile sur toile, 195 x 130 cm
1974-1982 : les enseignes
Avec le "cycle des enseignes", Louttre.B entame la période la plus figurative de son œuvre, il y fait ouvertement référence à l'art populaire. On y retrouve les caractéristiques habituelles des enseignes à caractère informatif, publicitaire ou décoratif (voire les trois à la fois) utilisées dans le commerce mais détournés par l'imaginaire de l'artiste, souvent de manière fantaisiste et humoristique. Louttre.B utilise des formes de lettres découpées, des pochoirs métalliques pour les inscriptions, et s'amuse à varier les supports : contreplaqué, bois, métal .
Au petit jardinier, bois découpé, grand format.
À partir de 1976, en parallèle à son cycle des enseignes, Louttre.B peint à l'acrylique sur toile, sur des formats essentiellement carrés. On retrouve ici le thème de la nature, plus que jamais présent dans son œuvre, sous la forme de paysages esquissés, de végétations ou de villages isolés qui se devinent au centre de la toile, souvent encadrés par de larges aplats de couleurs contrastées.
L'étrange heure, 1976, acrylique sur panneau, 146 x 97 cm
1983-1985 : acrylique & collages
En 1983, Louttre.B introduit des photographies découpées dans des magazines, intégrées dans la composition du tableau.
Michel-Georges Bernard les analyse ainsi : "Le plaisir encore une fois de manipuler et, à contre-courant, quand la photographie envahit la peinture, de malicieusement réinvestir en peinture la photographie même."
La feuille à l'envers, 1983, acrylique et collage photos sur toile, 150 x 150 cm
1986-1988 : acryliques "fouettées"
Dès 1986, les paysages deviennent moins détaillés. Louttre.B joue sur la couleur par l'application de grands traits parallèles, donnant l'impression de fouetter la toile et faisant apparaître les villages ou les arbres au milieu d'un grand flou de nature.
Histoire d'eaux, 1987, acrylique sur toile, 60 x 60 cm
Collines I, 1987, acrylique sur toile, 120 x 120 cm
1989-1992 : 2ème période sable
À la fin des années 80, Louttre.B réintroduit le sable dans sa pratique picturale. Quand on lui demande son processus créatif, il répond : "C'est du sable blanc de Fontainebleau, qui n'a aucun pouvoir colorant. Dans une boîte d'un kilo, si vous mettez une cuillère à soupe de bleu, cela devient un bleu. Je mélange le sable au pigment et il est fixé par l'acrylique. On ne peint pas avec du sable comme on peint à l’huile, à l’acrylique ou à l’aquarelle."
Le sable donne un coté granulé à la toile, un relief. Il laisse aussi à l'artiste un champ créatif plus large : il vient graver à même la toile, au fusain ou avec un outil métallique, qui donne de la profondeur à chacune de ses toiles. Cette période est notamment marquée par une large utilisation du noir, utilisé en à-plats et occupant souvent près de la moitié de la toile.
Dans la préface du catalogue de l'exposition personnelle du peintre Pages de Sable réalisée au Centre d'art contemporain de Mont-de-Marsan, Gérard-Georges Lemaire décrit ainsi cette période : "Louttre.B réécrit les épisodes de son roman pictural... il inaugure l'exploration d'une forêt vierge tout en y projetant les arcanes majeurs de son iconographie." En mélangeant directement le pigment avec le sable, il obtient un matériau barbare et puissant pour décrire la femme et réexplorer le paysage, c'est-à-dire "un cycle... qui peut être considéré comme une authentique somme de ses épreuves passées et également comme leur dépassement. S'il récapitule les épisodes de son roman pictural, il les réécrit intégralement."
Un citron dans un bas de soie, 1992, acrylique et sable sur toile, 60 x 60 cm.
La naissance de l'oeuf, 1992, acrylique et sable sur toile, 200 x 300 cm.
1992-1995 : peinture à la bombe
Louttre.B revient brièvement à l'huile, et peint tantôt sur toile et/ou sur des panneaux de bois aggloméré. La nature y est toujours omniprésente, les couleurs se font plus vives, et les formes figuratives sont soulignées de grands traits noirs ou colorés tracés à la bombe.
Bison solitaire et glacé, 1995 , huile sur panneau, 89 x 116 cm.
1995-2005 : troisième période sable
Louttre.B réintroduit le sable dans sa pratique picturale. Outre la matière, il donne à ce grain une profondeur en mélangeant sable et pigments, dans des compositions où le paysage laisse place à des formes toujours en phase avec une nature rêvée. Comme le décrit Bernard Ceysson : "La présence de sable donne un aspect crépi, maçonné à la couche qui le recouvre. Cette couche de couleur visible ne fonctionne pas comme un simple effet d'un cosmétique décoratif. Elle façonne cet effet de bâti peint qui laisse percevoir d'un monument sa matérialité pondérable et présente, mais la vêt d'un manteau de couleurs : éloge manifeste que fait de sa main l'homme qui maçonne et qui peint. "
Se succèdent alors des séries de tableaux comme Campagnes de l’an II (2001) ou Les Licornes (2003) dans lesquelles la figure ne semble plus être qu’un prétexte à la superposition de plans colorés. Cette dernière série est présentée largement lors de l’exposition de 2003 au musée de Sens à qui, dans le même temps, l’artiste fait donation de 458 de ses gravures, couvrant la période allant de 1983 à 2003.
On pavoise, 1998, acrylique et sable sur toile, 89 x 146 cm.
Licorne bien-aimée, 2002, acrylique et sable sur toile, 130 x 196 cm.
2005-2012 : l'explosion des couleurs
Au cours des années 2000 et jusqu'à sa mort en 2012, Louttre.B continue à exploiter la technique de la peinture à l'acrylique, avec ou sans sable, où les couleurs se font de plus en plus vives. Les couleurs d'abord sourdes utilisées par l'artiste dans sa jeunesse ont évolué vers "des jaunes, des verts acides et des rouges somptueux", observe Bernard Ceysson.
Les contrastes se précisent, refroidissant de larges aplats de couleurs très chaudes, solaires, par des bleus profonds.
Il expose à la galerie Bernard Ceysson, à Paris et au Luxembourg, des peintures où le grand format lui permet de déconstruire les éléments formels du paysage en de violents assemblages de couleurs. La nature est, comme toujours, au centre de son œuvre, sous une forme de figuration allusive.
Le pré carré, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm
Le retour de la colombe, 2011, acrylique et sable sur toile, 150 x 150 cm